Héros dites-moi !
Un Album pour Transmettre
Illiade
Institut pour la longue mèmoire européenne
Par Mahaut Hellequin - 13/03/2018
INSTITUT ILLIADE (mars 2018)
"Héros, dites-moi !" Un album pour transmettre
Quiconque s'intéresse à la scène folk et médiévisante française citera Les Derniers Trouvères comme un classique parmi les groupes qui se disputent les faveurs des amateurs de fêtes médiévales, du marché de l'Histoire et des soirées parisiennes thématiques. Classiques aux deux sens du terme, ils sont incontournables par leur qualité et leur popularité mais aussi tenants d'un art poétique que Boileau théorisa en 1674 et qui vise à plaire et instruire dans un même mouvement et à édifier par l'imitation des Anciens. Imitation non pas servile, non de la lettre mais de l'esprit et dont il est précisément question dans leur album "Héros, dites-moi !" sorti en mars 2017.
L'imitation y suit deux voies : d'une part celle de la forme, qui ne prétend pas être une reconstitution historique de chants médiévaux mais qui, dans l'esthétique folk des chansons populaires, du recours au merveilleux et des costumes colorés, fait sienne la verve, l'entrain, et le divertissement instructif des anciens troubadours, de l'autre celle du propos qui présente à l'auditeur contemporain une galerie d'exempla, de portraits de figures héroïques, en les rendant suffisamment proches pour oser marcher dans leurs pas. Construit avec sens et intelligence dans les jeux d'échos symétriques, arrangé avec un brio épique pour le plus grand plaisir de nos oreilles, accompagné du livret le plus instructif et le mieux pensé qui soit, Héros, dites-moi ! est un album qui plaît, qui élève et qui rassemble.
Un plaisir musical
Première évidence à l'écoute de l'album; sa qualité musicale. Bien des groupes excellents en concerts, ayant l'habitude de donner toute leur énergie sur scène pour créer des ambiances joyeuses et mouvementées, se dégonflent comme de tristes baudruches dans le studio d'enregistrement. certains évitent la catastrophe en enregistrant pendant leurs concerts; l'ambiance est bien là mais l'arrangement est inexistant. Les Derniers Trouvères ont brillamment relevé le défi : un arrangement épique, profond, chaleureux et rond permet à leurs voix et leurs instruments de conserver intact leur souffle de feu et aux auditeurs d'avoir toute l'énergie du groupe dans leur salon et se mettre, presque à leur corps défendant, à danser sur "La Vouivre" ou "La Maîtrise du Dragon", les deux morceaux instrumentaux, tandis que les refrains entraînants appelleront force claquements de mains.
Entre les reprises de mélodies traditionnelles, le tempo tantôt bondissant, tantôt chaloupé, le lyrisme ou le récitatif, la variété règne dans cet album où chacun trouvera son bonheur. En effet, le groupe prouve qu'il maîtrise tous les genres et modes de la chanson française : si Camulogène évoque les harangues et ritournelles populaires et le Lai de Merlin l'héritage celtique, une chanson comme La Fête de Samain aurait presque les accents lancinants et séducteurs de la fameuse jonque chinoise d'Opium. Si l'on peut avoir quelque réserve ici ou là (sur le passage en langue de Shakespeare, notamment, dont la présence est cependant nécessaire au groupe pour cultiver des amitiés outre Manche où l'accent français est certainement irrésistible et doit faire tout le charme du titre) on notera tout de même avec bonheur qu'on ne s'ennuie strictement jamais tant le rythme est suffisamment soutenu, appuyé, enlevé pour nous embarquer à chaque morceau.
Enfin, la voix de Marie Milliflore et l'harmonie des churs est un enchantement : ils savent mêler la perfection lyrique et la fougue, la virtuosité qui se trahit discrètement et l'humilité mise au service du groupe pour nous inviter à suivre d'héroïques voies...
Une invitation au dépassement
Héros, dites-moi ! ne se contente pas de l'agrément esthétique, il a aussi pour vocation d'instruire. Concept album construit de ponts et d'échos, il invite dans son incipit à se mettre en apprentissage auprès des héros et cheminer à leurs côtés, "car nous avons le choix : mouton, loup aux abois... ou disciple d'un héros" véritable leçon d'humilité dans une époque qui ne sait plus admirer et dont la médiocrité hait la grandeur qui la dépasse. C'est au terme de cette progression qu'enfin nous pourrons à notre tour, comme nous y invite l'excipit être le héros de nos propres vies en visant toujours plus haut.
Incitation à l'action, la voix des Derniers Trouvères est aussi amorce de réflexion et de recherches par sa volonté didactique remarquable. Loin de l'érudition de l'entre-soi qui cache ses références pour les réserver au petit cercle de "ceux qui savent", le livret explicite tous les emprunts, qu'ils soient à André Malraux, à Abélard ou à Shakespeare et, mieux encore, présente en dernières pages, après les crédits, l'intertexte ou l'univers évoqué par la chanson. On sait ainsi où chercher si les idées exprimées ou les personnalités exaltées trouvent écho en nous. Cette initiative redonne ses lettres de noblesse et son utilité à l'objet disque et à son livret, indispensable pour s'enrichir et s'instruire.
L'association étroite de l'action et de la réflexion se retrouve dans les modèles proposés : l'amour courtois exhaussé à sa perfection dans Chasse d'Amours côtoie la prouesse de la Pucelle d'Orléans, la sagesse druidique de Merlin fait pendant à la stratégie martiale de Camulogène, la foi de sainte Geneviève répond à la verdeur du Grand Chêne. Ainsi également s'unissent paganisme et christianisme dans une célébration fédératrice de la France et de Paris.
Une occasion de s'unir sous des symboles communs
De Camulogène, le Gardien de Lug et La Fête de Samain à sainte Geneviève et Jeanne d'Arc, l'album fait droit à la sagesse païenne et à la foi chrétienne et de Merlin le pont synthétique de l'une à l'autre :
"Instruit du savoir des Anciens, / Pénétré de l'Amour chrétien, / Cette fusion dicta sa mission, / Sa charge, son devoir."
Il n'oublie pas non plus les racines vétérotestamentaires par l'emprunt aux Hymnes d'Abélard de la "Fille de Jephté" et d'une mélodie judéo-espagnole. C'est enfin le Grand Chêne qui symbolise la transmission interrompue et l'unité du peuple français :
"Ancestral témoin de Charlemagne et saint Louis, / Ou des amours gravées sur ton tronc crevassé, / Tes feuilles pour honorer la Victoire sont choisies, / Tes branches pour la Force en guirlandes sont tressées... / Le Druide te sait divin, il cueille le gui sacré".
Fédérateur, cet album l'est aussi des générations qui toutes prendront plaisir à l'écouter autour de la chaîne (à défaut de chêne), commentant les évocations historiques, les légendes, l'amour courtois, tapant du pied et battant des mains. C'est l'instrument idéal pour instruire les plus jeunes dans la tradition dont ils seront bientôt à leur tour gardiens et pour inspirer les autres à renouer avec l'idéal héroïque qui devrait être celui de tout homme et toute femme dignes de ce nom.
Mahaut Hellequin